Voici mes impressions d’un autre album d’Iggy Pop des années 1970, Soldier, dont le succès à l’époque fut relatif, mais qui est néanmoins une offrande assez riche et originale. L’instrumentation s’écarte un peu du glam rock à la David Bowie et se rapproche d’un pas de plus de l’esthétique post-punk, plus froide, dystopique, faite avec les moyens du bord, qui commence à s’imposer à cette époque. Les paroles sont comme d’habitude ambiguës, pleines de non-dits, de demi-teintes, de glissements qui, finalement, créent une impression de profondeur et de plénitude du sens. Si le protagoniste de New Values, l’album précédent de M. Pop, se faisait plaintif et s’avouait impuissant devant les turpitudes de la vie de paria dans un monde capitaliste, il est ici revendicateur, plus combatif. De plus, il a une nature plurielle : il est une femme dans Ambition, un enfant dans Loco Mosquito et Mr Dynamite, une bande d’amis dans Knock Them Down. Un album polyphonique. Le titre Soldier prend ainsi toute sa mesure. Sa signification n’est d’ailleurs pas complexe ou subtile, elle est assez littérale et d’autant plus prégnante. L’album parle de luttes, de revendications, de tensions.
1. Loco Mosquito
Coups de cœur : 6 sur 6
Le protagoniste se porte très bien, déborde d’énergie, mais pas au point de pouvoir s’enrôler dans l’armée (on pense au titre de l’album). Tel un enfant hyperactif, a un tempérament fougueux, difficile à maîtriser, potentiellement destructeur. Cet enfant-adulte prend conscience de sa nature de vampire comme de celle des autres. Comme un maringouin, il cherche à tirer sa force vitale des autres, et ils en font autant pour lui. Les humains apparaissent comme des sangsues.
2. Ambition
Coups de cœur : 6 sur 6
Mélodie mélancolique, guitare hérissée de frémissements espagnols, voix altérée qui doit ressembler à une voix féminine, car le protagoniste est une femme dont la société s’applique à freiner l’élan. C’est une femme ambitieuse d’une nature bienveillante, mais tout de même un loup dans une peau de mouton. Personne n’est inoffensif dans un monde de soldats, dans une vie qui est un champ de bataille.
3. Knocking ‘Em Down (In The City)
Coups de cœur : 6 sur 6
Ce morceau adopte une forme énergique et saccadée, une allure punk, dont le signe le plus patent est la guitare à la Joy Division, tamponnée en cadence, d’un mouvement un peu trop dépensier en énergie pour le joueur.
Le texte parle d’un groupe de jeunes affamés et combatifs qui arrivent en ville pour se tailler une place et briser l’establishment. L’ambition, le désir de s’imposer comme force vitale, comme facteur inéluctable de la vie. D’autre part, l’allure générale du morceau ne transpire pas l’agressivité, mais l’énergie erratique, forcenée, implosive plutôt qu’explosive. Tout comme la pochette qui montre Iggy dans une pose comique et cocasse, la pugnacité des soldats qui peuplent l’album prête plus à rire qu’à craindre.
4. Play It Safe
Coups de cœur : 6 sur 6
Le mordant du morceau précédent est ici tempéré au profit d’une nouvelle résolution : celle de miser sur la sécurité, de jouer de prudence, en somme, de respecter l’ordre établi. Les paroles du morceau esquissent une opposition dynamique entre la sécurité et la transgression.
La musique de cette chanson verse résolument dans le post-punk à la The Fall. Au Royaume-Uni, Mark E. Smith sonnait déjà le glas de l’énergie crue du punk pour endosser le rictus cynique qu’on lui connaît, incarnant un apôtre sardonique et paradoxal du thatchérisme.
Références :
- Al Capone : un des plus célèbres représentants de la mafia italienne aux États-Unis
- Joey Gallo : un autre mafieux italo-américain
- Son of Sam : un tueur en série devenu célèbre à la fin des années 1970, David Berkowitz de son vrai nom.
- Tim Jones : un autre tueur américain, mais comme il est né en 1981, il ne pourrait s’agir de la même personne.
En tout cas, on saisit le paradigme : une énumération de criminels, dont le protagoniste aimerait faire partie tout en déclarant vouloir y aller mollo, se conformer à l’ordre établi. La question se pose alors : si l’opposition qui se joue est entre le crime et la prudence, où est passée la bienveillance, le désir authentique de faire du bien? Comme si l’humain n’avait que deux choix : céder à ses penchants criminels ou s’en garder par prudence, par calcul. De fait, sur un champ de bataille, le bien n’existe pas.
5. Get Up & Get Out
Coups de cœur : 5 sur 6
Musicalement, l’album ouvre ici une parenthèse jazzée, avec un son qui rappelle Morphine du début à la fin (mais Morphine n’existaient pas encore à cette époque). Les paroles racontent, sous la forme d’un dialogue entre deux hommes, l’émancipation des femmes (« chicks »), leur résolution à ne plus endurer les abus. Bref, le champ de bataille est ici, sans équivoque, celui de l’égalité des sexes.
6. Mr. Dynamite
Coups de cœur : 6 sur 6
Morceau assez énigmatique. Qui est Mr Dynamite? Je n’en ai aucune idée. C’est certainement un autre soldat, mais on en ignore l’allégeance ou la profession de foi. C’est un précurseur du Firestarter de The Prodigy, mais c’est aussi un être vulnérable, autrefois redoutable, désormais digne de pitié, trahi et abandonné. J’ai la sensation qu’Iggy parle de lui-même ici, de son ancien statut d’acteur de premier plan de la subversion, réduit aujourd’hui à l’apitoiement sur lui-même. On sait, en effet, qu’Iggy traversait une mauvaise passe à cette époque de sa vie. Musicalement, on reste dans le post-punk minimaliste. La pièce me fait penser à The Birthday Party et sa pléthore de personnage loufoques comme Mr Clarinet ou A Figure of Fun. Le piano déjanté qui déchire la chanson du début à la fin et l’accord de guitare lugubre et solennel à eux seuls valent un coup de cœur.
7. Dog Food
Coups de cœur : 3 sur 6
Composition dissonante, échafaudée autour d’une figure rythmique, comme c’est souvent le cas chez The Birthday Party. J’ai lu quelque part que les paroles s’en prenaient à la scène punk et à ses valeurs de privation volontaire.
8. I Need More
Coups de cœur : 4 sur 6
Chanson qui raconte l’incapacité à tirer satisfaction d’une vie par ailleurs décente. Un hymne à la génération du baby boom, toujours assoiffée de plaisirs et de folies. Musicalement, ce morceau se s’apparente à The Fall.
9. Take Care Of Me
Coups de cœur : 2 sur 6
La chanson la plus impersonnelle de l’opus, elle parle du besoin d’amour et de simplicité, ce qui établit un rapport d’opposition à la chanson précédente. Qui veut tout perd l’essentiel.
10. I’m A Conservative
Coups de cœur : 6 sur 6
Ma pièce préférée de l’album. La mélodie et la structure ne cessent d’évoluer et pourtant laissent une impression de cohésion parfaite. Un portrait satirique du conservateur, celui à qui la vie épargne tout et qui ne fait que s’en délecter, mais qui s’inquiète quand même que le monde ne soit pas bâti à son image, ce qui lui fait rêver d’uniformité.
11. I Snub You
Coups de cœur : 4 sur 6
Ce morceau fait suite au précédent : le conservatisme, l’attitude exclusive et discriminante se présente ici comme du snobisme. Le sujet qui parle est rempli de mépris à l’égard de destinataire du message. Chanson simple, mais efficace.
12. Low Life
Coups de cœur : 4 sur 6
La guitare acoustique et la mélodie épurée sur un rythme country confèrent à la chanson une sonorité pastorale. Le sujet se considère comme une canaille et décrit son mode de vie.
13. Drop A Hook
Coups de cœur : 4 sur 6
Instrumental entraînant, bien de son temps, qui me rappelle, une fois de plus, The Fall et Madness.
Même si l’album est riche et une réussite indiscutable, je lui préfère New Values, qui était un tantinet plus subtil.
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