Je suis en train d'explorer la discographie de Rush. Albums qui ont traversé mon canal auditif à date : tous les albums à partir de 1989.
- Presto
- Roll the Bones
- Counterparts
- Test for Echo
- Vapor Trails
- Snakes & Arrows
- Clockwork Angels
Si Presto et Roll the Bons s'inscrivent dans un genre de pop-rock éthéré à la Marillion, Counterparts et Test for Echo sont un peu plus heavy, et Vapor Trails flirte avec le grunge. Les deux derniers albums du groupe versent dans une espèce de métal mathématique, mais intéressant et ingénieux.
Mes albums favorits jusqu'à maintenant sont Vapor Trails et Snakes & Arrows. Rien d'étonnant quand on connaît mes racines musicales. Roll the Bones n'est pas mal, même s'il est l'album que j'ai le mois aimé. Test for Echo est meilleur musicalement. Presto comporte plusieurs tounes mielleuses qui font du bien aux amateurs de pop-rock chaleureux des années 1980. Clockwork Angels est étrange et un peu cauchemardesque tout en restant falot pendant la plupart du temps, mais quelques pièces se démarquent nettement.
L'aventure continue.
Mise à jour du 1er janvier 2025: J'ai poursuivi la remontée dans le temps. Je me suis engagé résolument dans les années 1980, avec Hold Your Fire et Power Windows. Power Windows (1985) est bien de son temps, abonde en synthétiseurs et en sons futuristes caractéristiques de sa décennie, tandis que Hold Your Fire (1987), son cadet de deux ans, frôle le glam metal ça et là et se rapproche petit à petit de sonorités plus proches de notre époque, avec ses guitares plus denses et abrasives et sa plus grande liberté artistique. Cet album fait mieux ressortir le cachet particulier de la formation et, somme toute, rejoint le palmarès de mes albums préférés de son catalogue.
Mise à jour du 11 janvier 2025:
J'ai découvert l'album Grace under Pressure (1984). Très vague froide, je le qualifierais presque de dark wave, un peu à la façon de The Chameleons. Froid, anxieux et déterminé, un style qui me colle à la peau, que je sens dans mes tripes. Rush est décidément un groupe qui n'a pas hésité à évoluer avec les grandes périodes de l'histoire du rock, de s'inscrire dans les différents courants actuels, tel des caméléons à la Bowie. Beaucoup plus que les autres géants du rock progressifs, qui, pour la plupart, restent dans leur sillon bien creusé.
De tous les albums qui ont parcouru mon canal auditif jusqu'à ce jour, c'est l'album précédent, Signals (1982), qui s'inscrit le mieux dans la catégorie rock progressif. Il comporte plusieurs bonnes pièces qui, j'en suis sûr, sont devenus emblématiques de la formation. Je ne le rangerais pourtant pas parmi mes albums favoris. J'ai souvent tendance à affectionner les oeuvres marginales des artistes plutôt que leurs chefs d'oeuvres attitrés. Dans Signals, le chant du vocaliste me lasse (un peu plus que d'habitude). En revanche, je trouve le guitariste Alex Lifeson formidable, je pourrais même affirmer qu'il a rejoint mon panthéon de guitaristes progressifs préférés, à côté de David Gilmore, Steve Rothery, Steve Hackett, etc. Je suis tout aussi admiratif à l'égard du feu batteur Niel Peart, une légende. Il fait de la batterie un instrument mélodieux, plein de vie et de substance.
Mise à jour du 2 février 2025 :
J'ai poursuivi le voyage dans le temps avec les deux albums de 1980 (Permanent Waves et Moving Pictures). J'ai aimé les deux, mais j'ai une petite inclinaison pour Permanent Waves, qui a un son plus cru, presque punk, et en même temps très hard rock progressif. La chanson Spirit of Radio cartonne vraiment. J'ai découvert aussi la vidéo qui l'accompagne. Quant à Moving Pictures, Tom Sawyer se démarque nettement du reste, par sa mélodie entrainante et son énergie.
Mise à jour du 15 février 2025 :
J’ai décidé d’acheter A Farewell to Kings (1977). Cela fait un bout que je braille contre Spotify et consorts, contre le fait qu’ils ont sonné le glas de l’industrie musicale. Cela dit, j’ai revu certaines de mes positions. Il n’est pas tout à fait vrai que les plateformes de diffusion aient démantelé le modèle économique de l’industrie du disque, étant donné que ce modèle était déjà moribond, notamment à cause du piratage. On pourrait même dire que les plateformes ont quelque peu ressuscité l’industrie, mais, malheureusement, au seul bénéfice des étiquettes musicales, une injustice qu’on devrait imputer à ces dernières, aux conditions qu’elles imposent aux artistes, et non aux plateformes de diffusion elles-mêmes. Quoi qu’il en soit, l’utilisation de ces plateformes me rend inquiet, malheureux, fébrile. Je me sens comme pris dans un piège, dans l’obligation constante de payer, d’écouter et, paradoxalement, de glorifier le medium au détriment de la musique elle-même. Un glissement subtil, mais pernicieux qui a pour effet de stériliser l’expérience musicale. Ainsi, après avoir lu quelques articles sur le livre de Liz Pelly (par exemple, voir ici) où elle fustige Spotify, j’ai décidé de lâcher la technologie entière et de reprendre l’achat d’albums en format numérique, car celui-ci rapporte le plus aux musiciens, contrairement au vinyle, dont la fabrication est dispendieuse. Un autre argument entrait aussi en ligne de compte : la plupart des diffuseurs sont des entreprises américaines, et je veux participer au boycott des produits américains en réponse aux atrocités que leur président impose au monde et à mon pays. Les seules exceptions à cette règle, à ma connaissance, sont Spotify (l'entreprise est suédoise, mais elle a appuyé Donald Trump et de plus, elle dévalorise les musiciens depuis sa création en leur versant trois fois rien comme honoraires et en les remplaçant petit à petit par de la musique automatique), Deezer (entreprise française qui offre du son de moyenne qualité à un prix relativement élevé) et Qobuz (entreprise française qui offre, cette fois-ci, de la haute résolution sonore à un prix raisonnable). Si je devais opter pour une plateforme, ce serait cette dernière. Cependant, ma décision était de lâcher la technologie tout entière et non tel ou tel fournisseur. Mon premier achat était l’album de Rush de 1977, A Farewell to Kings, effectué à la boutique numérique de Qobuz. La version en haute résolution m’a coûté 20 $, un prix élevé pour un album numérique, mais je dois avouer que la qualité sonore en vaut la chandelle : c’est un véritable délice pour mes oreilles.
Pourquoi Rush? C’est
un groupe dont j’étudie la discographie depuis quelques mois. Je me sens
intrigué par son œuvre, sans pour autant y adhérer, sans pouvoir m'en déclarer un admirateur.
Plusieurs traits de leur musique piquent ma curiosité : c’est une
formation insolite, quelque peu à contre-courant de son temps; c’est une
formation qui, du moins en apparence, fait fi de l’image traditionnelle de la vedette de rock; c’est une formation novatrice et expérimentale
dont la musique possède néanmoins un lyrisme intemporel doublé d'une inclinaison à la réflexion. Bref, un groupe
original. Et canadien.
Cela dit, j’avais l’impression
que l’écoute de leur musique créait une sorte de dépendance en moi, que ses
effets sur moi n’étaient pas bénins, c’est-à-dire qu’elle stimulait en moi des
penchants que je souhaiterais dissiper : individualisme belliqueux, haine
des autres, repli sur soi, insensibilité, violence. Le contraire de ce vers quoi
je veux évoluer. En écoutant ses différents albums, j’avais capté des bribes de
paroles qui, m’avait-il paru, exsudaient diverses formes d’intolérance. J'ai donc voulu savoir si le groupe était connu pour des prises de
positions politiques ou pour la portée politique de ses chansons. À ma grande
désolation, j’ai découvert les influences d’Ayn Rand sur le groupe, en
particulier sur Niel Peart, et la controverse que leur esthétique avait provoquée
à la fin des années 1970 (voir cet
article du Guardian), lorsque Rush se sont vu prêter des penchants extrêmistes.
Plus tard, les membres se sont appliqués à corriger cette impression, notamment
au cours des années 1980. Il me semble que leur admiration univoque pour
Ayn Rand, que M. Peart a par la suite reniée, participait plutôt d’une maladresse de jeunesse attribuable à leur
ignorance et à leur naïveté. L’entrevue du Guardian révèle leur incompréhension fondamentale de ce qu'est une politique sociale.
Dans cet article, l’auteur fait valoir que les allégeances du groupe penchaient plutôt
vers la gauche, ce qui me paraît plausible. N’empêche que l’effet général
produit par leur musique sur moi n’est ni ennoblissant ni apaisant. Qu’à cela
ne tienne, je suis sensible aux qualités artistiques de leur musique et je
maintiens que c’est un groupe curieux, et que son univers esthétique et riche.
L’album lui-même est parmi les plus réussis du groupe, mais lesdits aspects problématiques y sont tous présents. La chanson éponyme met en scène, tout naïvement, une idylle brisée : le monde a abandonné le merveilleux moyenâgeux pour embrasser la grisaille du béton et la froideur des rapports (We turned our gaze / From the castles in the distance / Eyes cast down / On the path of least resistance). Cette idée renvoie à la pochette de l’album, qui montre un pantin posé sur un trône, incliné sur la droite comme s’il allait culbuter d’un instant à l’autre, avec à ses pieds, une couronne, le tout sur fond de gravats et, plus loin, le contour opprimant d’une ville moderne, toute en béton.
Tout naïvement, dis-je, car l’opposition sous-jacente est simpliste : le
monde des rois en était un de violence, d’arbitraire et d’inégalité bien plus
que de merveilles et d’idylles. La chanson suivante, Xanadu, qui s’inspire
d’un poème à saveur historique, plonge l’auditeur-lecteur dans un monde
idéalisé, un pays de paix et de bonheur. On retrouve, ici aussi, le goût du
mythe cher à l'extrême-droite, sa vénération des racines perdues. Vient
ensuite Closer to the Heart, un des plus grands succès du groupe, malheureusement
aussi un des textes les plus réactionnaires de sa discographie. Le monde décrit,
étant « plus près du cœur », est un nouveau monde, à inventer et à bâtir, à « façonner »
(« mould ») à partir du néant et ce, de façon orchestrée par le haut. L’idée du façonnage sous-entend celle de table
rase, d’annihilation de la tradition, d’utopie totalitaire. Il se peut que le
parolier ait voulu simplement imaginer un monde idéalisé où l’éternelle
opposition entre la raison et le cœur serait surmontée, mais les connotations
de cette position utopiste, voulues ou non, ne sont pas anodines. Cindarella
Man, chanson inspirée du film Mr. Deeds Goes to Town, nous
invite à la rencontre d’un personnage tout aussi idéalisé, un nouveau riche au cœur
pur et bienveillant que l’on estime fou. Vient ensuite Madrigal, chanson
d’amour qui présente la bien-aimée comme un regard omniprésent, tel le regard d’une
divinité, qui vient repêcher le personnage du monde insensible où il est
contraint d’évoluer (When life becomes so barren / And as cold as winter
skies / There’s a beacon in the darkness / In a distant pair of eyes). La
bien-aimée est ainsi un être désincarné, une figure nourricière virtuelle, une Pénélope protectrice qui attend notre Ulysse les bras
ouverts dans le lointain. Enfin, Cygnus X-1: Book One: The Voyage, opus
astronautique bien de son temps, aux allures d’un film de science-fiction, nous
raconte le voyage (serait-on de nouveau en présence de l’Ulysse de Madrigal?)
d’un héros vers un trou noir, quelque part dans la galaxie Cygnus. Le trou noir
épanche ses rayons X telle une sirène (antithèse de la Pénélope de Madrigal) et attire le voyageur vers sa perte.
Celui qui croyait rejoindre sa bien-aimée angélique se retrouve en fait acheminé
vers une sorte de géhenne cosmique, où tout son être se désagrège et disparaît.
La partie 2 de la saga suivra dans l’album suivant, Hemispheres.
Pour naïves qu’elles puissent paraître, ces paroles sont claires et
percutantes, comme une image épurée qui frappe l’imagination. Elles possèdent une
solide valence poétique. Néanmoins, dans son ensemble, l’album me laisse
frileux, pessimiste, sur mes gardes.
Voilà. Je vais poursuivre la découverte du catalogue du groupe, mais je crois que mes achats s’arrêteront ici. S’il y a un musicien dont la prestation m’impressionne dans les albums de Rush, c'est celui qu’on a généralement tendance à oublier, Alex Lifeson. Je pense qu’il glisse un feu follet vivifiant dans l’univers froid échafaudé par les deux autres membres du groupe. Sans lui, l’écoute du groupe aurait été une expérience traumatisante (elle l'est déjà un peu).

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